HISTOIRE-PATRIMOINE-24 : FRANCE : IL Y A 175 ANS, LA LOI DU 27 AVRIL 1848 DÉCRÉTAIT L’ABOLITION DE L’ESCLAVAGE

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Le 27 avril 1848, la toute jeune 2ème République décrétait l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises. Le décret interdit absolument « tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres ». Il précise que « nulle terre française ne peut plus porter d’esclaves ». Selon le décret d’abolition du 27 avril 1848, « l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine ; […] en détruisant le libre arbitre de l’homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; […] il est une violation flagrante du dogme républicain : Liberté, Égalité, Fraternité. » L’abolition de l’esclavage s’applique dans toutes les colonies et possessions françaises dans les deux mois de la promulgation du décret dans chacune d’elles. Il interdit à tout Français, même en pays étranger, de posséder, d’acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit directement, soit indirectement, à tout trafic ou exploitation de ce genre. Toute infraction à ces dispositions entraînerait la perte de la qualité de citoyen français. L’article 7 précise que « le sol de France affranchit l’esclave qui le touche. »

Il prévoit de libérer dans un délai de deux mois 250.000 esclaves noirs ou métis à la Martinique, à la Guadeloupe, à la Réunion, en Guyane et à Saint-Louis du Sénégal ainsi que leur émancipation. Ils obtiennent le droit de porter un nom et de voter aux élections. En contrepartie des indemnités sont accordées aux anciens propriétaires d’esclaves « ayant dû appliquer l’interdiction de l’esclavage » et ainsi perdre leur main d’œuvre gratuite (loi du 30 avril 1849). Ce décret d’abolition est rédigé par Victor Schoelcher, sous-secrétaire d’État à la Marine dans le gouvernement provisoire sous la tutelle du ministre de la Marine François ARAGO. Le Décret d’abolition du 27 avril, signé par tous les membres du gouvernement, parait au « Moniteur » le 2 mai 1848. Cette dernière loi, relative au montant de l’indemnisation des esclavagistes à la suite de l’abolition, est abrogée en janvier 2017 « au titre d’une réparation morale du préjudice subi par les esclaves.

Victor Schœlcher (1804-1893)

Né à Paris en 1804, Victor Schœlcher est le fils d’un riche fabricant de porcelaine catholique, originaire d’Alsace. Au lycée Condorcet, il côtoie les milieux littéraires et artistiques parisiens et se lie d’amitié avec George Sand, Hector Berlioz et Franz Liszt. 

Journaliste et homme politique français, Victor Schœlcher a consacré sa vie à la lutte contre l’esclavage. Militant de l’abolition sous la Monarchie de Juillet.  Sous-secrétaire d’État à la Marine en 1848, choqué par les horreurs du système esclavagiste, il a consacré sa vie à la lutte pour l’émancipation. La République lui offre l’occasion de rendre effective et immédiate la liberté de tous les esclaves des colonies et des possessions françaises il est le rédacteur du décret du 27 avril 1848 qui abolit définitivement l’esclavage en France. L’esclavage y avait perduré, malgré l’arrêt théorique de tout approvisionnement depuis l’interdiction de la traite.  Victor Schoelcher, est élu représentant du peuple à la Guadeloupe et à la Martinique. Optant pour la Martinique, il fait ainsi entrer à l’Assemblée nationale constituante son colistier guadeloupéen Louisy Mathieu, un ancien esclave, ouvrier typographe dans une imprimerie de Pointe-à-Pitre, âgé de trente et un ans, ayant pour suppléant Henri Wallon. Jusqu’à sa mort, il ne cessera de se battre contre l’exploitation dans les colonies françaises.

L’ABOLITIONNISME, UN LONG CHEMIN

Par quels processus complexes et contradictoires l’existence d’une condition servile légale s’est-elle perpétuée aussi longtemps dans le pays qui avait proclamé les droits de l’homme en 1789 ? Pourtant, le 4 février 1794, la Convention Nationale de la 1ère République avait proclamé l’abolition de l’esclavage qualifié de « crime de lèse-humanité ». Mais, en 1802, Napoléon Bonaparte révoquait cette loi et légalisait à nouveau l’esclavage dans toutes les colonies françaises. L’abolitionnisme plonge ses racines au cœur du siècle des Lumières qui connut aussi l’apogée de la traite négrière et de l’esclavage français, voire européen. Par-delà le silence officiel, il y eut pourtant des consciences pour dénoncer l’horreur de ces pratiques et en demander au moins la lente « humanisation », voire la suppression à terme. Les hommes les plus illustres du XVIIIe siècle ébranlèrent les fondements théoriques et moraux de la traite. Montesquieu avait été le premier à lancer le débat dans « L’Esprit des lois (1748) ». Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Raynal, Servan (Discours sur le progrès, 1781) écrivirent tous sur le sujet. En France, l’article « traite des nègres » de L’Encyclopédie rédigé en 1766 par Louis de Jaucourt condamnait l’esclavage et la traite : « Cet achat de nègres, pour les réduire en esclavage, est un négoce qui viole la religion, la morale, les lois naturelles, et tous les droits de la nature humaine ». Si la dénonciation morale de l’esclavage fut fréquente, elle franchit plus rarement le cap de la remise en cause du système esclavagiste existant dans les colonies.

Le 19 février 1788, la Société des amis des Noirs est créée à Paris par Brissot, Clavière, Mirabeau, La Fayette, bientôt rejoints par Condorcet, l’abbé Sieyès, l’abbé Grégoire, Pétion de Villeneuve. Tous allaient être acteurs de la Révolution, au moins à ses débuts, mais aussi par le chimiste Lavoisier et près de deux cents autres personnalités venues des milieux des lettres, des sciences, de la finance, du commerce et de l’administration de l’Ancien Régime, y compris du Bureau des colonies, avec Daniel Lescallier.

Les Anglais se montrent plus hardis : sous la pression des sociétés philanthropiques d’inspiration chrétienne, ils abolissent la traite atlantique en 1807 et l’esclavage en 1833. Les libéraux et les philanthropes français sont tout disposés à imiter leurs homologues d’outre-Manche. Il faut attendre la Révolution de février 1848 pour qu’enfin, dans l’effervescence républicaine, les abolitionnistes puissent contourner l’opposition des planteurs.

LA SOCIÉTÉ DES AMIS DES NOIRS 

La Société des amis des Noirs est une association française créée le 19 février 1788 qui avait pour but l’égalité des Blancs et des Noirs libres dans les colonies, l’interdiction immédiate de la traite des Noirs et progressive de l’esclavage. Calquée sur une société fondée quelques mois plus tôt par des Quakers anglais, elle a pour but l’abolition de l’esclavage et la lutte pour « légalité politique et sociale des mulâtres et des nègres libres ». La traite négrière ayant pris de l’ampleur au 18ème siècle, un mouvement international réclame l’abolition de l’esclavage dès les années 1780. Toutefois dans le souci de maintenir l’économie des colonies françaises elle préconisait qu’avant d’accéder à la liberté, les Noirs devaient y être préparés, et donc éduqués.

L’ABBÉ GRÉGOIRE, CHRÉTIEN ET RÉVOLUTIONNAIRE (1750-1831)

Né en 1750 près de Lunéville (Meurthe-et-Moselle) dans une famille de modestes artisans ruraux, Henri-Baptiste Grégoire étudia au collège des jésuites de Nancy et au grand séminaire de Metz avant d’entamer une triple carrière, ecclésiastique, politique et littéraire. Déjà quadragénaire quand éclate la Révolution, il va révéler une générosité sans égale au service de causes inédites, de l’instruction pour tous à l’émancipation des juifs en passant par l’abolition de l’esclavage. Dans un ouvrage paru en 1808 « De la Littérature des nègres », l’Abbé GRÉGOIRE développe l’idée de reconnaissance des populations noires. Ouvrage qu’il dédie à : – « À tous les hommes courageux qui ont plaidé la cause des malheureux noirs et sang-mêlé, soit par leurs ouvrages, soit par leurs discours, dans les assemblées politiques, dans les sociétés établies, pour l’abolition de la Traite, le soulagement de la liberté des esclaves. » 

QUELQUES DATES

1315 :première loi interdisant l’esclavage dans tout le royaume de France, et le servage dans les domaines royaux édit du  roi Louis X.

Cet édit permet en théorie à tout esclave qui arrive en France d’être affranchi : « le sol français affranchit l’esclave qui le touche ».

Décret du 16 pluviôse an II (4 février 1794) : abolition de l’esclavage.

« La Convention nationale déclare abolir l’esclavage dans toutes les colonies ; en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français, et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution. »

Art. 4. Sont amnistiés les anciens esclaves condamnés à des peines afflictives ou correctionnelles pour des faits qui, imputés à des hommes libres, n’auraient point entraîné ce châtiment. Sont rappelés des individus déportés par mesure administrative.

Art. 5. L’Assemblée nationale réglera la quotité de l’indemnité qui devra être accordée aux colons. (…)

Art. 8. À l’avenir, même en pays étranger, il est interdit à tout Français de posséder, d’acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit directement, soit indirectement, à tout trafic ou exploitation de ce genre…

1830-1848

Après 1830 et l’instauration de la monarchie de Juillet, le contexte changea rapidement, sous l’effet de plusieurs facteurs. Ce fut d’abord l’arrivée au pouvoir de libéraux, intellectuellement hostiles à l’esclavage, mais prudents dans leur démarche et avant tout soucieux de ne pas porter atteinte aux intérêts des colons ou des armateurs. Le ministre François Guizot était le représentant le plus brillant de cette nouvelle génération d’antiesclavagistes par conviction, mais homme d’ordre qui espérait concilier idéal et nécessité d’assurer une extinction en douceur de la vieille économie coloniale. Le spectre de 1793 était omniprésent : rallumer la guerre des esclaves était l’erreur à ne pas commettre. L’abolition devait donc être préparée par de sages mesures progressives.

Lorsque les journées de février 1848 renversèrent le gouvernement de Louis-Philippe, l’opinion était massivement devenue abolitionniste. En moins de deux mois, le gouvernement provisoire de la République imposa la fin de la servitude, sans aucune étape transitoire, renvoyant la question de l’indemnité des colons à des décrets ultérieurs.

Dès le 24 février, jour de l’abdication de Louis-Philippe, le gouvernement provisoire était formé, avec Arago, Lamartine, Ledru-Rollin, Garnier-Pagès, Louis Blanc comme principaux ministres ; tous étaient membres de la SFAE (Société Française pour l’Abolition de l’Esclavage) et tous étaient ralliés, certes avec des nuances, à la thèse de l’émancipation immédiate.  Arago fut nommé ministre de la Marine et des Colonies. Le 4 mars, il désigna Schoelcher, qui venait de rentrer d’un voyage au Sénégal, sous-secrétaire d’État aux Colonies. La première décision de celui-ci fut de former une commission d’abolition de l’esclavage qu’il présidait lui-même. Dès ce jour, le principe de l’abolition était acquis.

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