HISTOIRE et PATRIMOINE : LUNDI 15 AVRIL 2019 : NOTRE DAME DE PARIS EN FLAMMES

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« Sur la face de cette vieille reine de nos cathédrales, à côté d’une ride, on trouve toujours une cicatrice »

Avait écrit Victor Hugo au sujet de Notre-Dame de Paris.

18h40, une fumée noire assombrit le ciel de Paris. Un incendie s’est déclaré à Notre Dame. En quelques minutes, les principales chaines de télévision de France et du monde interrompent leur programme pour diffuser en direct les images de ce désastre. Médusés, Parisiens, Français et citoyens du monde regardent les flammes s’emparer de ce patrimoine national auquel chacun, croyant ou non, est viscéralement attaché car, depuis plus de huit siècles, le cœur de la France bat à l’unisson de ce vaisseau de pierre et de plomb.

19h40, la flèche qui culminait à 93m. de haut,  s’embrase, oscille et s’effondre. Puis c’est toute la charpente qui s’enflamme. Les flammes lèchent une des tours.

Sous nos yeux embués de larmes, c’est notre histoire qui brûle.

Alors on prie, on pleure on chante pour que les pompiers arrivent à circonscrire cet incendie  et que Notre Dame reste debout et surtout on reste à son chevet comme au chevet d’une vieille amie qui traverse des heures douloureuses.

Au milieu de la nuit, le feu sera stoppé in extremis par les 400 pompiers qui l’ont combattu au péril de leur vie.

Notre Dame blessée, dévastée, défigurée mais Notre Dame debout…

Heureusement, la cathédrale n’est pas anéantie. Mais il faudra attendre longtemps avant qu’elle renaisse de ses cendres. Et le drame de Notre-Dame restera gravé dans nos mémoires. Notre-Dame entretenait depuis toujours un dialogue singulier avec l’histoire des hommes et l’éternité des dieux. Les flammes terribles, voraces, longtemps insatiables qui l’ont ravagée ce lundi 15 avril, n’auront pas mis un terme à ce dialogue. Mais elles y auront ajouté la sidération de la catastrophe, le drame des Parisiens, le deuil de la France touchée au cœur et cette immense onde de tristesse qui a parcouru la planète à la vue du désastre en direct.

La géographie, l’histoire, la littérature en ont fait l’épicentre du pays.

Sur son parvis se situe le « kilomètre zéro » à partir duquel est calculée la distance de la capitale au moindre bourg de France.

NOTRE DAME DE PARIS, 850 ANS D’HISTOIRE DE FRANCE

Son destin pouvait-il échapper à l’Histoire de France ? En se dressant au cœur même de la capitale, sur la petite île de la Cité, bénie par un Pape (Alexandre III), parrainé par un roi (Louis VII), comment ne pouvait-elle pas symboliser la toute-puissance d’un pouvoir temporel et spirituel ? Son chantier a été inauguré par le pape Alexandre III le 24 mars 1163. Sa construction, de 1163 à 1245,  est intervenue à un moment charnière de l’histoire de Paris et du royaume de France

Depuis la première pierre posée en 1163 jusqu’à son jubilé de ses 850 ans en 2013, elle a été témoin de l’histoire de France, une histoire gravée dans ses pierres. Depuis plus de huit siècles – depuis quinze siècles même dans sa forme mérovingienne antérieure. Elle est un des hauts lieux qui a façonné l’Europe à travers les âges. Contrairement à bien d’autres, si elle n’a pas toujours résisté à l’usure du temps, la cathédrale a toujours échappé aux flammes jusqu’à ce jour funeste du 15 avril. Sa charpente médiévale, cette « forêt » mystérieuse, est aujourd’hui en cendres. Et derrière chaque poutre était l’âme de ces charpentiers d’exception qui durant des décennies l’ont assemblée. C’est également un lieu hautement important dans le domaine de la politique de la France. Sa nef a accueilli quelques-uns des plus riches chapitres du roman national. Les rois étaient sacrés à Reims et inhumés à Saint-Denis, mais pendant des siècles la monarchie est venue s’agenouiller à Notre-Dame, y célébrer mariages et Te Deum de victoires. Notre-Dame de Paris,  c’est d’abord le Moyen Age cruel et foisonnant, avec sa foi impérieuse jusqu’au fanatisme, ses intrigues sanglantes, sa misère et ses massacres qui faisaient douter du Ciel. Sur l’île de la Cité où se dressait Lutèce, les hiérarques de l’Eglise au pouvoir sans limite font élever cette offrande de pierre à leur Dieu qui règne sur l’Europe. D’ouest en est, tournée vers Jérusalem comme tant de cathédrales, deux tours massives, une nef colossale, un transept aux rosaces de lumière, un chœur comme une proue dans la Seine, et une flèche qui gratte les nuages dominent le Paris chrétien .Tout autour se serrent des masures fragiles et un peuple habitué au malheur qui vit durement à l’ombre des gargouilles et des saints statufiés, protégés par des reliques aux pouvoirs magiques, dont la couronne d’épines du Christ déposée là par Saint-Louis. La cathédrale accueille les croyants, les bourgeois, les seigneurs, mais aussi les réprouvés, les exclus, les miséreux, entre ses murs qu’on croit livides parce que les fresques d’origine, aux couleurs rutilantes et dorées, ont été effacées par le temps et jamais restaurées dans une époque où l’on croit que la religion était par nature austère.

Dans ce musée vivant, les grands événements se sont succédé en rangs serrés, ponctuant l’histoire. En guerre avec le Pape, Philippe le Bel y tient les premiers Etats généraux du royaume ; pendant la guerre de Cent Ans, on y couronne Charles VI, enfant-roi de France et d’Angleterre, comme on le fera pour Marie Stuart. Récupérant son royaume envahi, Charles VII célèbre la reprise de sa capitale aux Anglais et aux Bourguignons, par un Te Deum, le premier d’une longue série. Il réunit aussi le tribunal ecclésiastique chargé de réhabiliter Jeanne d’Arc brûlée à Rouen. La reine Margot y épouse Henri de Navarre, le chef des huguenots  resté sur le parvis pendant la cérémonie, six jours avant que ces noces de réconciliation ne deviennent des noces pourpres avec le massacre de la Saint-Barthélémy. Encore un Te Deum pour le mariage de Louis XIV, et une péroraison majestueuse de Bossuet pour la mort du Grand Condé. La Révolution a transformé la cathédrale en «temple de la Raison»  dans une vaine tentative de déchristianisation, quand on changeait les églises en greniers et qu’on fondait les cloches pour faire des canons.  C’est dans ses murs que Napoléon se sacre empereur, immortalisé par David, prenant des mains du pape la couronne pour se la poser sur la tête, puis pour couronner à son tour Joséphine. Son neveu Napoléon III s’y marie avec l’impératrice, puis y fait baptiser le prince impérial. La République, elle-même, en a fait bien souvent le lieu de ses triomphes et de ses peines. C’est le bourdon de Notre-Dame qui sonna le premier la victoire, le 11 novembre 1918. C’est dans cette cathédrale que le général de Gaulle vint célébrer la libération de la capitale le 26 août 1944. Là encore que se rassemblèrent tous les grands de la planète en 1970, 1974 et 1996 pour saluer, lors de messes solennelles, la mort de trois présidents de la République, de Gaulle, Pompidou et Mitterrand.

DE SA CONSTRUCTION A AUJOURD’HUI…

Sa construction, c’est d’abord une prouesse architecturale incroyable pour le Moyen Age. Un projet surréaliste du point de vue des contemporains.

La première pierre est posée en 1163, et les sources de l’époque font mention d’un millier d’ouvriers sur le chantier. Toutes les branches de métiers sont mobilisées, verriers, maçons, charpentiers ou menuisiers vont bâtir ce joyau de l’architecture gothique pendant près d’un siècle. Sur le chantier on y croise aussi nombre de femmes, elles s’occupent des décors ou du plâtre. Au total, 80 métiers différents. Pour permettre le bon acheminement des travaux, on ouvre même la rue Neuve sur plus de six mètres de large. Bâtir une telle merveille architecturale force à l’innovation, notamment pour élever des murs aussi hauts, et y faire tenir une toiture aussi lourde sans risquer l’effondrement. À cette occasion, la voûte en croisée d’ogives permet l’utilisation de murs plus légers, mais également un petit espace circulaire qui reçoit des vitraux, et donc une entrée de lumière. Parmi les éléments les plus importants, il y a la charpente. Elle est faite de poutres de bois, de plaques de plomb mais également de pierres de grande qualité. Notre-Dame de Paris a pendant longtemps, été la plus haute construction de Paris. Si ses deux tours culminent à environ 68 mètres de hauteur, le sommet de l’édifice est lui à environ 128 mètres. Avant l’achèvement de la tour Eiffel en 1889, ses deux tours étaient les structures les plus hautes de Paris.

Pendant plusieurs siècles, elle est également l’une des plus grandes cathédrales d’Occident.

SA RESTAURATION AU XIXe SIECLE

Après la Révolution, lorsque la paix revient en France, il est écrit dans les archives que la cathédrale est dans un état de délabrement complet, les autorités envisagent même de la démolir complètement.

C’est à cette période que Victor Hugo, fervent admirateur de l’édifice, décide de se lancer dans la rédaction de « Notre-Dame de Paris ». Son œuvre sera publiée en 1831, et aura un succès retentissant qui marquera une partie importante des Français, et les sensibilisera à la valeur d’un tel joyau national.

« Sans doute, c’est encore aujourd’hui un majestueux et sublime édifice que l’église de Notre-Dame de Paris. Mais si belle qu’elle se soit encore conservée en vieillissant, il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant les dégradations, les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument. »Victor HUGO

En 1844, le roi Louis-Philippe 1er décrète la restauration de la cathédrale de Paris et la construction d’une sacristie.

Le chantier de restauration est confié à deux architectes : Eugène Viollet-le-Duc et Jean-Baptiste Lassus. En 1857, la mort de Lassus laisse Viollet-le-Duc, seul maitre d’œuvre.

« Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné. » (Viollet-le-Duc)

Cette grande campagne de restauration débute, adjointe parfois de modifications de l’architecture générale, dont les principaux axes sont :
la reconstruction de la flèche.

la restitution des statues.

Élévation de la nouvelle sacristie.

Remise en place d’une nouvelle vitrerie en faisant appel à de grands maîtres-verriers.

Reconstitution d’une partie du Trésor et du mobilier.

Réfection complète du grand orgue datant du XVe siècle.

Les deux conflits mondiaux épargneront fort heureusement la cathédrale.

Ancrée plus que jamais dans notre époque et loin d’être un musée, la cathédrale se veut, comme depuis ses origines, la Maison de Dieu et la Demeure des Hommes.

ET MAINTENANT…

Il faut reconstruire…

Les dons affluent et le Président de la République affirme que Notre Dame sera reconstruite en 5 ans. Est-ce réalisable ? Peu probable car avec des techniques traditionnelles il faudra plus de dix ans. Certes les compagnons venus de toute la France et du monde sont là. Mais déjà des questions se posent sur les matériaux à utiliser notamment pour la charpente.

Alors Notre Dame reconstruite « à l’identique » ? Impossible, les technologies ont évolué, le savoir-faire aussi. L’ordinateur a remplacé l’équerre et le compas…

Notre Dame renaîtra de ses cendres d’ici quelques années, quelques décennies, elle aura retrouvé son port altier, sa splendeur mais, si le résultat enchantera nos yeux, y rencontrerons-nous encore les âmes des bâtisseurs du Moyen Age ?…

Patricia V.

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